Nous ne sommes pas des fées, Louise Dupré et Ouanessa Younsi, Mémoire d’encrier, Montréal, 2022

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Nous ne sommes pas des féesLouise Dupré et Ouanessa Younsi

Nous sommes des femmes

On sait — on devrait savoir — que la poésie est — elle devrait être — surtout dialogue. Dialogue entre l’auteur/ autrice et ses lecteurs/ ses lectrices. Dialogue ou, plus exactement, co-création. L’auteur/autrice écrit ses poésies non uniquement pour qu’elles soient lues sinon, plus encore, pour communiquer.

Communiquer, d’emblée, avec lui-même — pour se connaître et, en se connaissant (meilleur), (mieux) connaître le monde ; pour se découvrir (meilleur), (mieux) découvrir le monde — et, en seconde instance, pour communiquer avec ses lecteurs. Pour établir la communication, pour dialoguer avec eux.

Nous ne sommes pas des fées, Louise Dupré et Ouanessa Younsi, Mémoire d'Encrier, Montréal, 2022Dans Nous ne sommes pas des fées, Mémoire d’encrier, Montréal, janvier, 2022, ce sont Louise Dupré et Ouanessa Younsi qui dialoguent entre elles. Qui dialoguent, bien sûr, pour faire dialoguer, ensuite, leurs lecteurs et lectrices. Leurs lecteurs pour qu’ils apprennent que les femmes, bien qu’elles puissent êtr bien près de l’être, non ne sont pas des fées. Leurs lectrices, pour leur dire qu’elles n’ont pas le besoin d’être des fées ; qu’être des femmes est plus important — et, aussi, plus difficile, plus ardu.

Être des femmes
Plus difficile, plus ardu, plus fatigant, mais, cependant, et peut-être en cela même, si stimulant, si enrichissant, si magnifique. Si digne de se plonger, de cœur et d’esprit, dans l’aventure des femmes. Cette aventure dont on sait quand elle commence, mais dont on ne sait jamais quand elle finit. En réalité, dont on ne sait quand elle finit parce qu’on sait, très bien, qu’elle ne finit jamais ; qu’être femme est l’aventure des aventures. Une (grande) aventure risquée.

Mais, et ce mais est essentiel, dans ce livre de poèmes — et, par conséquent, selon la conception existentielle des deux poètes —, le plus grand risque pour les femmes est, précisément (et paradoxalement), de ne pas vivre comme femmes. Ou, ce qui est le même : essayer de vivre — essayer de continuer, comme ont fait beaucoup de femmes pendant des siècles — comme si elles étaient des fées ; comme si elles étaient immunisées contre la peur, la douleur, contre toutes les (continuelles) exigences de leur vie.

Une aventure risquée que les deux poètes entreprennent à deux voix et à quatre mains — et davantage, comme j’essayerai d’exprimer, « à huit mains », (p. 25). À deux voix parce que, malgré la distance qu’impose l’âge, elles se lient, se font (presque) une seule, grâce a l’écriture, qui « est une/ audace de l’amitié », (p. 12).

Amitié
De cette amitié, complice, qui, en première instance, se vit durant « le temps d’un thé/ ou d’une promenade », (p. 11), mais que, jour après jour, vers après vers — pour le dire avec les mots du grand poète espagnol Antonio Machado —, « L’amitié est un sentier/ qu’on déchiffre / pas à pas », (p. 58), devient plus qu’une amitié (ou, si nous le préférons, car l’amitié est toujours une affaire sérieuse, fondamentale, une amitié singulière).

Elle devient une véritable, authentique amitié : « J’apprends à prononcer le mot confiance », (p. 44). Elle devient une fraternité : « J’ose écrire nous sans te demander ton avis, est-ce abus ou désir de mêler nos souvenirs dans une même histoire », (p. 48) ; « même mortes, nous resterons/ des amies », (p. 83) ; « Je voudrais me souvenir de notre amitié comme d’un long poème appris par cœur », (p. 97).

Non pas uniquement une fraternité poétique, mais une fraternité existentielle, une fraternité du regard, de la façon de voir et de vivre le monde — de ce que le mélange complet, parfait entre voir et vivre, entre vivre et voir, que j’ose qualifier de voir-vivre ou vivre-voir —, qui fait que, au fur et à mesure que le livre avance, ce soit de plus en plus difficile de différencier les deux poètes.

Ouanessa Younsi

Deux poètes qui en font (presque) une
Plus difficile de les différencier non pas par leurs voix, par leurs styles, qu’elles conservent tout au long du livre — c’est le style, la voix, ce qui fait qu’un auteur soit lui-même, qu’il soit ce qu’il est ; le style, c’est l’auteur (l’autrice) même ; c’est l’auteur/ l’autrice qui fait son style ; son style qui fait l’auteur/ l’autrice —, sinon par leur esprit ; par cette communion de visions, de pensées que leur dialogue poétique fait naître (en réalité, qu’il fait renaître ; qu’il fait émerger vers la surface). Que leur dialogue réveille : « La mère, elle dort au fond de la mémoire, puis soudain se réveille, surgit au hasard d’une phrase », (p. 46).

Plus difficile parce que, au fur et à mesure que nous avançons dans la lecture, plus nous oublions qu’il y a une distance interrelationnelle entre les deux poètes. Une distance, une différence entre l’âge entre l’une et l’autre. Séparation (Ouanessa bien pourrait être la fille de Louise) que le dialogue poétique, que l’amitié, la fraternité qui génère le dialogue poétique cœur à cœur, non seulement réduit, mais fait, tout simplement, disparaître.

Louise Dupre Credit: Geneviève Bergeron

Enfants, mères, grands-mères
Qu’il fait disparaître complètement — « t’offrir ton histoire, recevoir la tienne », (p. 25) ; « Avec le temps peut-être en venons-nous toutes à nous ressembler », (p. 88)  —, de sorte que, en premier lieu, toutes deux deviennent, au même moment, des enfants : « Je ressuscite la petite fille brune », (p. 17) ; « une enfant […] m’attend encore, assise sur les marches de la maison », (p. 18) ; « Elle n’a pas rangé/ ses jouets dans son coffre/ à mémoire, la petite fille », (p. 30) ; « la petite fille brune/ s’assoit/ derrière mes yeux », (p. 35).

Qu’en second lieu, elles reviennent — et, par conséquent, elles les font renaître : « Nous leur réinventons une voix, les rêvons telles des fées penchées au-dessus de nos berceaux », (p. 24) — vers leurs mères : « belle comme une fée, ma mère, quand le soir elle lisait des contes au creux du lit », (p. 20) ; « Je m’égarais dans ma mère comme dans un labyrinthe », (p. 21) ; « on découvre/ sa mère dans le miroir », (p. 35) ; « je finis toujours par réentendre la voix de ma mère », (p. 70) ; « nous resterons/ des mères// avec des soucis/ de mères », (p. 82).

Et, en troisième lieu, et pour finir — pour finir ce voyage de la vie, qui nous emmène de l’enfance jusqu’à la mort ; plus précisément, aux portes de la mort, à la dernière station ; « Naissance, mort, et au milieu : un poème qui ressemble à une vie », (p. 41) ; « je m’approche/ comme un chat/ de la mort », (p. 53) ; « Dans mon cimetière/ il y aura toute une vie », (p. 78) —, elles deviennent grands-mères : « Moi, j’aurais des yeux capables d’embraser tous les horizons », (p. 94) ; « mon sourire deviendra une grimace collée à un cadavre », (p. 95)

Ces grands-mères de qui elles se souviennent tant : « Ta grand-mère Alida ressemblait-elle à la mienne […] ? », (p. 89).

À huit mans
C’est pour cette raison, parce qu’elles sont — ou, plus exactement, parce qu’elles sont devenues — enfants, mères et grands-mères, qu’elles peuvent dire, (comme nous l’avons déjà vu) non seulement « nous écrivons à huit mains », (p. 25), sinon, en fait : « nous écrivons à douze mains ».

À douze mains : celles du je de l’enfance ; celles du je actuel ; celles du je futur.

Et, encore
Il y aurait, bien sûr, beaucoup de questions à analyser, mais pour faire cela il me faudrait écrire non un compte rendu, mais une longue analyse littéraire. Et, n’est pas ici le lieu — ni le moment — de le faire.

C’est pour ça que je dois me limiter/ m’obliger à souligner, brièvement, quelques-unes (et uniquement quelques-unes) de ces questions.

L’écriture comme combat contre la peur, contre la peur et contre la détresse : « faire un rempart contre la douleur », (p. 18) ; « J’ai longtemps écrit pour débusquer les oiseaux de malheur, les démons logeant au fond de ma gorge », (p. 44) ; « écrire la catastrophe pour l’éprouver et s’en séparer », (p. 47). Écrire pour que « les blessures finissent/ par trouver/ un nid pour les accueillir », (p. 52) ; « il y aura des mots/ capables d’affronter// le futur de nos peurs », (p. 103), …

L’écriture comme antidote, comme protection : « Nous vivons avec la folie d’une possible réparation », (p. 64) ; « Nous résisterons à toutes les détresses », (p. 70), …

L’écriture comme (ou en tant que) source (ou racine) d’espoir, de conviction ou de (toute possible) croyance : « Je veux croire en l’avenir », (p. 48) ; « t’écrire/ parce que j’ai besoin/ de croire », (p. 55) ; « en espérant/ se faire une écorce/ plus têtue que la peur », (p. 60) ; « Il m’arrive encore d’y croire quand surgit un poème du plus profond de l’espoir », (p. 64) ; « Comme toi, je veux croire », (p. 71), …

En définitive, et comme (essai de) conclusion, voici un grand dialogue poétique, qui, que nous soyons des hommes, que nous soyons des femmes — non des fées ni des anges, mais des personnes —, nous fait dialoguer, d’emblée, avec les deux poètes et, ensuite, avec nous-mêmes.

dissabte, Primer d’Octubre del mmxxii

© Xavier Serrahima 2022
www.racodelaparaula.cat
www.xavierserrahima.cat
@Xavierserrahima
ORCID iD iconorcid.org/0000-0003-3528-4499

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Author: XavierSerrahima

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